Alexandre Poussin : « Nous sommes des observacteurs »

Alexandre Poussin - Ecrivain voyageur

Par Carmen Weber

« Ce qui me pousse à voyager et à explorer de nouveaux endroits, c’est la curiosité. J’ai envie d’aller voir ce qui est du côté de l’horizon. Je ne voyage pas pour fuir, ni pour quitter, ni pour changer de bocal. Je voyage parce que je suis attiré par un questionnement, une problématique. Mes voyages sont tous un peu différents ; entre le premier et le dernier, il y a évidemment des motivations qui changent, une progression dans la vie, c’est normal. Mon premier voyage, le tour du monde à bicyclette avec Sylvain Tesson, était vraiment un voyage initiatique. Nous venions d’avoir notre diplôme en poche. On voulait « se farcir le monde » et le découvrir au guidon de notre bicyclette à la force de nos moyens. Trouver le temps, les températures, le vent, les tempêtes de sable, la pluie, les parfums, les cultures variées. Puis il y a eu une maturation dans notre culture du voyage. Lorsqu’on est écrivain voyageur, on s’affine et on mûrit aussi. Nous sommes partis dans l’Himalaya pour traverser toute la montagne d’est en ouest. C’était l’aventure rude, sportive, extrême. Nous avons franchi 65 kilomètres, traversé une frontière clandestinement, nous nous sommes fait courser et arrêter par des policiers, des militaires de tous les pays. Quand vous êtes deux gars baroudeurs qui ne font que de tracer, la relation est parfois plus superficielle. À vélo et sur la route, nous sommes toujours dans un monde de camionneurs, de stations essence. Le regard n’est donc pas le même, l’approche non plus. J’avais vingt ans, je ne ferais plus ça à cinquante.

Évidemment, quand on part en couple, c’est différent, avec un autre rythme, un autre tempo et d’autres objectifs. L’un des derniers voyages que j’ai faits était 14 000 kilomètres à pied en Afrique avec ma femme, ce n’était pas rien, trois ans de notre vie et douze pays sans rentrer en France… Nous portions cinq kilos sur le dos, voyagions lentement, en douceur, en finesse, dans des pays parfois compliqués. La dimension de couple a énormément apporté à l’aventure. Mon dernier périple, je l’ai fait en famille, sur un rythme beaucoup plus lent, avec mes deux enfants durant quatre ans à Madagascar. Nous faisions du deux kilomètres par heure, à l’aide d’une charrette tirée par des zébus ! Nous étions beaucoup plus dans la profondeur et dans la compréhension fine de la complexité d’une culture. La destination la plus inspirante pour moi a donc été la plus longue, car il y avait la dimension famille.

On était vivants dans un pays que l’on essayait de comprendre de l’intérieur. Toutes les dimensions de notre vie y étaient : c’était à la fois un voyage professionnel en tant que réalisateurs d’une série de documentaires mais aussi écrivains voyageurs et journalistes-photographes pour Paris-Match ! En plus de tout cela, nous étions des « observacteurs », qui observent mais agissent aussi. Nous avons levé des fonds pour trente-trois missions ONG et avons recolté près de 360 000€ tout en marchant à l’aide de notre charrette avec un panneau solaire et un ordinateur 3G. Nous avons réussi à faire tout cela en même temps. Nous avions en plus quatre zébus à nourrir, soigner et aimer. Cette charrette qu’il a fallu fabriquer, cet itinéraire qu’il a fallu inventer alors que tout le monde nous disait « ce n’est pas possible, votre tour de Madagascar n’a jamais été fait, il n’y a pas de route, pas d’itinéraire ! ». Pourtant, nous avons rendu cela possible, jour après jour, avec l’aide des villageois que nous croisions. Cela a été une aventure merveilleuse.

Les voyages, tels que je les conçois, nous conduisent à sortir de notre zone de confort et à prendre des risques. Quand on part faire le tour du monde à bicyclette avec seulement 1 500 € en poche pour un an par exemple, on sort évidemment de sa zone de confort, on se met en danger, en fragilité, en disponibilité à tout ce qui va arriver. Lorsque vous ne prévoyez rien, à part une direction générale, vous recevez tout ce qui vient systématiquement comme un cadeau.

Ma façon de voyager est éthique parce que nous utilisons uniquement des moyens naturels. Les Anglais les appellent « fair travel » : honnêtes et dans le respect de l’environnement, comme la bicyclette, la marche, la charrette… Ce sont des moyens de déplacements doux, lents, respectueux des écosystèmes et des cultures. Lorsqu’on arrive à pied, épuisés et souffrants après quarante kilomètres, le rapport humain et au monde est beaucoup plus doux, plus équilibré. La relation à l’autre est désintéressée. On paye autrement, de sa personne, en engagements, en prise de risques, en lâcher prise, en privations, en sacrifices de confort. On accepte ce qui vient simplement, même si c’est une soupe aux mouches comme cela nous est arrivés au Malawi ! Le côté relationnel prime sur l’organisation matérielle.

Le voyage éthique est un voyage qui prend du temps. Quand on est pressé, on ne peut pas être éthique parce qu’on force le destin et on essaie de rentrer un maximum de choses en un minimum de temps. On viole la culture, l’espace, la nature. Nous nous prenons le temps et nous décidons de voir moins de choses, mais pour mieux les voir. Être éthique pour moi, sans trop entrer dans la morale, c’est avoir un comportement vertueux, réfléchi, raisonné, contrôlé et mesuré en termes d’impact. Matériellement, je ne détruis pas, je ne consomme pas trop ou alors du local. Et puis il y a aussi la dimension spirituelle. Je joue le jeu, je respecte les cultures et les coutumes. Si les gens sont habillés d’une certaine manière, je m’habille comme eux, je ne fais pas exprès de m’habiller complètement à l’inverse pour ne pas les choquer. Essayer de se fondre, pénétrer la culture de l’autre pour essayer de la comprendre de l’intérieur afin de la respecter aussi… Le voyageur est celui qui va poser ses valises dans un village pendant un mois, qui va s’asseoir, écouter, laisser venir à soi les choses et apprendre la langue, les rudiments de la culture et va essayer d’établir un contact et des demandes fraternelles.

Si vous décidez de partir à l’aventure tout en restant éthique, choisissez un moyen de transport naturel. Ne dépendez pas de l’échange d’un permis de carte grise, d’une plaque d’immatriculation. Ne prenez pas les catalogues des voyagistes ou sharewares pour tout faire en une seule journée. Apportez de votre personne, vos valeurs, votre talent, votre savoir-faire. Si vous êtes maçon vous pouvez aider en maçonnerie, si vous êtes jardinier paysagiste aidez à planter des arbres.

Vous-mêmes en voyage, ne soyez pas seulement des observateurs mais plutôt des « observacteurs ». Venez dans le but d’avoir un impact positif, de laisser un bon souvenir derrière vous. Il faut que votre passage soit un baume au cœur. »

Pour en savoir plus :  https://madatrek.com

« Mada Trek, de Tana à Tuléar » et « Mada Trek, de Tuléar à Tamatave » de Alexandre et Sonia Poussin (Éditions Robert Laffont)

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